Mais quelle est donc cette émission dans laquelle on peut voir se croiser l’acteur vedette Timothée
Chalamet, le philosophe André Comte-Sponville ou encore l’ancien président de la République
François Hollande ? Il s’agit de Quotidien, diffusée sur la chaine TMC, appartenant au groupe TF1.
Présentée par Yann Barthès, l’émission a vu le jour en septembre 2016. Inspirée des codes du talk
show à l’américaine, elle mêle depuis près de dix ans humour, culture pop, et actualité politique ou
géopolitique. Ce savant mélange a fait de Quotidien une émission incontournable du paysage
audiovisuel français. Cette tribune à l’image moderne et décontractée permet aux intellectuels de se
montrer sous un autre jour, les rendant ainsi accessibles tout en leur faisant gagner en notoriété.
Lassitude et défiance à l’égard des médias
La popularisation de ce format d’émission peu conventionnel n’est pas anodine. En effet, elle est le
résultat d’un phénomène plus général de défiance et de fatigue envers les médias traditionnels.
Selon un sondage réalisé pour le journal La Croix en janvier 2025, 76% des Français suivent l’actualité
avec un grand intérêt, mais 62% se méfient de ce que disent les médias et 44% se déclarent lassés
par la redondance des sujets. Les journaux télévisés de 20h heures ont d’ailleurs observé une baisse
d’audience au cours de ces dernières années.
Dans ce contexte de défiance, Quotidien a su s’imposer comme un media indépendant, critique et
d’un nouveau genre. En effet, dans l’émission, les journalistes sont souvent montrés comme persévérants, n’hésitant pas à mettre les responsables politiques face à leurs contradictions. Cette
attitude leur a d’ailleurs valu d’être exclus de certains meetings ou de certaines conférences de
presse.
Ce fut notamment le cas avec Marine Le Pen, lors du scandale des emplois fictifs, qui, irritée par leurs
questions lors d’un salon des entrepreneurs en 2017, les a fait raccompagner jusqu’à la sortie. Du
coté de Jean-Luc Mélenchon, président du parti La France Insoumise, les journalistes de Quotidien
sont aussi souvent la cible d’insultes et se voient refuser des interviews.
Ce mécontentement d’une partie de la classe politique contribue paradoxalement à asseoir leur
légitimité. Ils posent les questions pertinentes auxquelles les responsables préfèrent ne pas répondre
et ce, qu’il s’agisse d’un représentant de la droite ou de la gauche, démontrant ainsi leur impartialité.
Le divertissement mêlé au journalisme d’information
Le format de l’émission se découpe en plusieurs chroniques, politique, culturelle,
humoristique…mêlant ainsi divertissement et journalisme d’information. Ce dernier devient
effectivement un spectacle, comme le déplore Neil Postman dans Amusing Ourselves to Deathi, mais
le contenu n’en est pas pour autant simplifié. En effet, Quotidien semble détourner cette logique, les
codes du divertissement participent à la diffusion de l’information et non à son appauvrissement.
L’émission rend les savoirs plus accessibles, sans pour autant tomber dans la superficialité des fast
thinkers ii, ces « spécialistes de la pensée jetable » théorisés par Pierre Bourdieu. Ces derniers s’appuient généralement sur des idées reçues, offrant au public un discours prémâché, déjà entendu
et donc plus digeste, mais aussi plus simpliste.
En effet, selon Sartre « Il ne convient pas de s’abaisser pour plaire, mais au contraire, de révéler au
public ses exigences propres et de l’élever, petit à petit, jusqu’à ce qu’il ait besoin de lire. » iiiAinsi la
télévision, se pose en véritable ressource « pour conquérir le public virtuel » et l’élever à une
discipline donnée en utilisant sa curiosité. Quotidien offre ainsi une tribune permettant de
démocratiser la parole des intellectuels. Ils peuvent alors y exprimer leurs idées devant plus d’un
million de téléspectateurs, qui seuls, a priori ne se seraient peut-être jamais intéressés à la
philosophie par exemple.
Par ailleurs, les médias ont un certain contrôle sur notre perception des choses. Selon Denis McQuailiv
dans Media Performance : Mass Communication and the Public Interest, ceux-ci ont un pouvoir
normatif, ils ont le pouvoir de décourager ou d’encourager certains comportements. Ils participent
aussi à la construction de normes sociales par leurs choix d’exemples mis en avant ou la
marginalisation de certains comportements. Dans le cas de Quotidien, l’émission met en valeur une
culture intellectuelle et par la même occasion les intellectuels eux-mêmes. Ils deviennent alors plus
valorisés et populaires aux yeux du public qui se voit montrer l’importance de ces figures et de leurs
messages.
Par exemple, lors du passage de Michel Onfray le 7 mai 2019, à l’occasion de la sortie de son nouveau
livre La Danse des simulacresv, qui explore les thèmes de l’art et des sens, le philosophe présente son
rapport à l’art et défend la nécessité d’initier les jeunes à celui-ci. Il insiste sur la difficulté de se
confronter seul à l’art, malgré un désaccord visible du présentateur. L’échange se transforme donc
en véritable dialogue et à la fin de la discussion, celui-ci parvient à comprendre le point de vue de
Michel Onfray. La spontanéité des interrogations du présentateur permet alors au public de mieux
saisir la manière de penser du philosophe.
On peut aussi prendre l’exemple du philosophe André Comte-Sponville présent sur le plateau le 6
février 2020, pour expliquer sa vision de la philosophie. Il aborde alors la grande question
métaphysique du « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien » questionnant ainsi la raison de
l’existence. Il développe son raisonnement à la fois spontané, passionné et détaillé, laissant d’ailleurs
les journalistes et le présentateur perplexes. Ce moment illustre bien la volonté de l’émission de ne
pas infantiliser le public. Celle-ci ne simplifie pas les discours complexes mais tente de les rendre plus accessibles. Ce qui rejoint d’ailleurs la pensée de Michel Onfray qui défend que ce sont les gens qui doivent s’élever au niveau des différents arts et sujets et non à ces derniers de s’abaisser à eux.
Les intellectuels entre accessibilité et légitimité

André Comte-Sponville sur le plateau de quotidien le 6 février 2020 sur TMC
Les intellectuels sont aussi montrés sous un jour plus personnel et moins formel. En effet, Michel
Onfray parle de son enfance modeste, avec un père ouvrier agricole et une mère femme de ménage.
Il avoue aussi se sentir toujours étranger au monde intellectuel et bourgeois auquel il appartient
désormais. Aussi, André Comte-Sponville évoque son passé de ‘mauvais élève’ et sa révélation pour
la philosophie au lycée. Il aborde aussi son tempérament mélancolique et explique comment la
philosophie l’aide à vivre avec cette part de lui-même. Ces confidences permettent au public
d’apercevoir les intellectuels sous un angle plus humain et de s’identifier à eux. Ils montrent leurs
failles et deviennent alors plus accessibles. Ceci contraste avec des émissions plus ‘intellectuelles‘ telles que La Grande Librairie sur France 5, souvent jugées élitistes. Les intellectuels y sont uniquement invités pour parler de leur sujet d’étude de façon assez formelle. Quotidien
contribue donc à rendre l’image de l’intellectuel accessible, tout en restant crédible auprès du public.
Néanmoins, une réelle tension existe entre l’intellectuel populaire et l’intellectuel reconnu par ses
pairs. En effet, lorsqu’A. Comte-Sponville arrive sur le plateau de Quotidien, la phrase de présentation
de Yann Barthès est assez révélatrice, il le présente comme « à la fois lu par le grand public et respecté
dans le milieu universitaire. ». Comme si ces deux formes de reconnaissance étaient presque
inconciliables.
C’est ce que souligne Pierre Bourdieu dans Homo Academicus vi et Sur la Télévision. Selon lui la
visibilité médiatique et la qualité du travail d’intellectuel ne sont pas nécessairement corrélées. La
célébrité relève du capital symbolique et non du capital académique fondé sur la reconnaissance des
pairs, les publications, ou les diplômes. Elle met plutôt en lumière la capacité de l’intellectuel à
séduire le public. Selon Pierre Bourdieu vii la télévision porterait même à l’extrême cette contradiction,
plaçant les intellectuels dans un milieu directement soumis à des contraintes commerciales et
temporelles, ce qui est peu compatible avec la production d’un certain type d’œuvre, philosophique,
scientifique… La popularité peut donc être vue comme un signe d’édulcoration du discours, une
simplification visant à répondre aux attentes du public dans une logique de divertissement et de
marketing.
L’intellectuel à la télévision doit donc développer une pensée complexe et rigoureuse dans un temps
restreint sans pour autant simplifier son propos pour séduire.
Les valeurs défendues par l’émission et la question de la diversité des opinions
Quotidien met en avant des valeurs telles que les droits de l’homme, la justice sociale et l’écologie.
L’émission insiste aussi sur l’importance de la culture et de l’éducation, invitant au débat et affichant
clairement une défense de la démocratie face au populisme et aux extrêmes.
Cependant, les invités tels que Marianne Chaillan, Charles Pépin, Michael Fœssel, Bruno Latour,
Claire Marin, André Comte-Sponville, Jacques Attali ou encore Antoine Foucher semblent presque
tous partager les valeurs de l’émission. Il y a donc un processus de sélection implicite des invités selon leurs idées, ce qui mène à l’exclusion d’une partie du paysage intellectuel français. Certains se
retrouvent alors marginalisés, incapables de défendre leurs idées auprès d’un large public. Ainsi, bien
que l’émission favorise un débat ouvert et accessible, elle limite néanmoins la pluralité des opinions,
ce qui diminue la richesse du débat public.
Conclusion
Quotidien doit son succès à son équilibre entre vulgarisation et rigueur. Grace à l’émission, les
intellectuels sont présentés sous un autre jour, permettant ainsi d’accroître leur popularité, malgré
les tensions entre célébrité et compétence. Cependant, la sélection des invités en fonction des
valeurs défendues par l’émission révèle les limites de celle-ci en termes d’impartialité et de défense
d’un débat ouvert et pluraliste.

Image promotionnelle pour l’émission Quotidien, sur TMC, 2023
i Postman, N. (1985) Amusing Ourselves to Death. Penguin.
ii Bourdieu, P. (1996) Sur la télévision. Collège de France [vidéo YouTube, 27:43]. Disponible sur :
https://www.youtube.com/watch?v=O1MbClFUYxg (Consulté le 1 novembre 2025).
iii Sartre, J.-P. (1948) Qu’est-ce que la littérature ? Paris : Gallimard.
iv McQuail, D. (1992) Media Performance: Mass Communication and the Public Interest. Londres : Sage
Publications, p. 251.
vOnfray, M. (2019) La Danse des simulacres. Paris : Flammarion.
vi Bourdieu, P. (1984) Homo Academicus. Paris : Éditions de Minuit, chap. 2.
vii Bourdieu, P. (1996) Sur la télévision. Collège de France [vidéo YouTube, 27:25]. Disponible sur :
https://www.youtube.com/watch?v=O1MbClFUYxg (Consulté le 1 novembre 2025)
Bibliographie et Sitographie
Bourdieu, P., 1984. Homo Academicus. Paris : Éditions de Minuit.
McQuail, D., 1992. Media Performance: Mass Communication and the Public Interest. London : Sage Publications.
Onfray, M., 2019. La Danse des simulacres. Paris : Flammarion.
Postman, N., 1985. Amusing Ourselves to Death. London : Penguin.
Sartre, J.-P., 1948. Qu’est-ce que la littérature ? Paris : Gallimard.
Bourdieu, P., 1996. Sur la télévision. Collège de France. Paris : YouTube. Consulté le 4 novembre 2025. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=O1MbClFUYxg (Consulté le 25 octobre)
La Croix, 2025. « Baromètre des médias 2025 : désinformation, fatigue, confiance… », 14 janvier. Disponible sur : https://www.la-croix.com/culture/barometre-des-medias-2025-desinformation-fatigue-confiance-notre-sondage-en-8 chiffres-cles-20250114 (Consulté le 25 octobre)
OJIM, 2025. “Confiance dans les médias : 62 % des Français se méfient de ce que disent les médias.” Disponible sur : https://www.ojim.fr/confiance-62-des-francais-se-mefient-de-ce-que-disent-les-medias/?cn-reloaded=1 (Consulté le 25 octobre)
Vanity Fair, 2025. “Pourquoi la méthode Quotidien agace-t-elle à ce point ?” Disponible sur :
https://www.vanityfair.fr/culture/ecrans/articles/pourquoi-la-methode-quotidien-agace-t-elle-a-ce point-hugo-clement
yann-barthes-camille-crosnier-paul-larrouturou/50873 (Consulté le 25 octobre)
Sud-Ouest, 2025. “Quotidien : vidéos.” 2 septembre 2025. Disponible sur : https://www.sudouest.fr/divertotv/videos/2025/09/02/30vpf8z (Consulté le 28 octobre)
France 24, 2018. “Intellectuels du XXIe siècle : collection documentaire anti-télévision.” 25 septembre 2018. Disponible sur : https://www.france24.com/fr/20180925-intellectuels-xxie-siecle-collection-documentaire-anti-television-france-5 (Consulté le 1 novembre)